C’est l’histoire d’un oiseau sur un chêne. Ou d’un écureuil sous un chêne. Ou d’un étrange hasard. Enfin ça n’a pas d’importance. Ce qui compte c’est ce qui en résulte. Parce que la cause est passée et qu’on ne peut y revenir.
C’est donc une histoire ancienne qui s’est passée il y a deux siècles, ou un peu plus. Ou un peu moins. Enfin il y a longtemps. Et dans ce temps lointain, il y a eu quelque chose de formidable, qui est passé complètement inaperçu tant le fait était banal et courant. Il l’est toujours d’ailleurs, banal et courant. Tellement banal et courant que vous vous demandez pourquoi j’en parle. En fait ce sont les conséquences de ce fait banal et courant qui importent.
la genèse du chêne
Ce qu’il s’est passé il y a un siècle, ou deux, ou un peu moins ou un peu plus, c’est la germination, d’un gland, fruit d’un chêne vert, posé là, on ne sait trop comment, qui s’est faite là où la terre à bien voulu prêter un petit bout d’elle, pour que le germe s’enfonce profondément. Il en est sorti un petit arbre qui a vu passer les saisons, les roues cerclées de la charrette, les brouteurs en laine, les torrents de pluies et la brûlure du soleil d’été. Il fut caressé par le vent humide de la mer, il fut fouetté par les bourrasques de la tramontane glacée. Sa ramure a servi d’abri aux oiseaux volages et apporta l’ombre fraîche aux amours naissants des adolescents.
Deux siècles séparent la naissance de l’arbre de mon piétinement devenu journalier. Chaque matin je passe devant l’ancêtre, le vénérable, l’ami. Je le salue. Il me répond d’un sourire. Qui n’a jamais vu sourire les feuilles du chêne vert se doit de se promener encore et encore en ouvrant son cœur.
le mal
Mais cet été, Le mal l’a pris. Les scientifiques appellent ce phénomène l’apoplexie ! la chaleur fut si intense, si longue, que l’eau ne monta pas aussi rapidement qu’elle n’en partait. Il en résulte de petites poches d’air dans les tissus conducteurs de la sève. Et on peut remarquer cela sur beaucoup d’essences. Les branches ont séché. Même chez lui, le bicentenaire ! le vert des verts, le robuste, celui qu’on croit intouchable, immortel.
Oh rassurez-vous, il devrait s’en remettre. Certaines de ses branches ne se couvriront pas de nouvelles langues vertes au printemps prochain. Mais il ne faudrait pas que la plaisanterie se renouvelle chaque année. Parce que l’aïeul, portera sur son tronc, trop de rides de tristesse.