A ma chère Claire,
Il est des dates symboliques. Ton 18ème anniversaire est un cap, un renouveau. Tu t’éloignes et tu te forges. Et la question que je me pose est : quel est le conseil que peut encore donner un papa à sa fille ? Sans être moralisateur…
Je t’ai donc écrit une histoire qui j’espère te plaira, t’aidera et pourquoi pas, que tu transmettras à ton tour quand le moment sera venu. Alors :
il était une fois…
Je sortis de la voiture et alla sonner au portillon. Jean ouvrit la porte.
Je poussais le portillon et m’avançais jusqu’à lui. Je l’avais appelé auparavant pour lui expliquer mon désarroi et lui demander un entretien.
Jean est une force de la nature, style joueur de rugby le week-end, déménageur la semaine. Sa moustache noire, taillée raz, descend bas, encadrant son menton, ce qui accentue la sévérité de son visage.
Il se tenait sur le seuil, droit comme un I. Il me toisait en silence, gravement. J’attendais en face de lui, un mot, un geste. Rien. Il était immobile. Je n’avais pas remis mon manteau en sortant de la voiture et je ne sais si c’est le froid de cette journée hivernale ou son regard de mort qui me glaçait le plus. J’étais en apnée.
« Petit con ! » me lança-t-il très distinctement, en appuyant toutes les syllabes. Et il s’écarta pour me faire entrer. Sa voix m’avait dans un premier temps soulagé, mais maintenant j’avais une idée de ce qu’il allait m’arriver ; remontrances et leçon. Car c’était pour encore apprendre que je rendais visite à Jean.
Jean, c’est mon mentor, mon maître, mon guide, mon père, mon frère, mon chemin, mon idole, mon chiant de professeur qui me fout en pleine poire mes écarts, mes abus, mes négligences.
C’est pour cela que je venais le voir aujourd’hui. Pour comprendre.
Jean me fit asseoir dans un fauteuil profond, et j’ai cru voir une lueur amusée éclairer son visage. J’avais besoin de lui et il en était fier. Il alluma un bâton d’encens, tira le store, et se posa en face de moi.
« Allez, raconte… » me dit-il, laconique.
Je lui expliquais, gêné, que j’avais encore raté mon énième semis de violette odorante. Malgré les graines fraîches, le terreau désinfecté, l’arrosage mesuré, la température maîtrisée… le champignon destructeur avait fait son office, et le semis était encore une fois loupé.
Jean me regardait fixement. Où était-il à cet instant ? Le silence envahit la pièce et je n’osais le rompre.
A la suite d’un long soupir, Jean me dit : « comment veux-tu penser aux autres si tu t’oublies toi-même ? Peux-tu donner la joie si tu es dans le malheur ? Peux-tu rendre l’espoir si tu doutes ? Peux-tu donner la vie si tu es mort ? Commence par réussir ta résurrection et tu pourras donner la vie. Dans ce monde de crainte, de doute, de désillusion, il ne peut germer que des graines de tristesse, de résignation, de lassitude. Rends toi heureux, n’ai pas peur du bonheur, fais germer l’espoir. »
Jean n’est pas mon chef jardinier, ni un homme d’église. Il est la philosophie comme je l’aime, simple, limpide, pratique, clairvoyante. Pour lui, la réussite ou l’échec de ce que l’on entreprend tous les jours, dépend essentiellement de son humeur. Aide toi, le ciel fera le reste. Sois heureux et tu pourras distribuer de la joie. On ne peut donner que ce que l’on a.
C’est donc avec du soleil plein le cœur que je te souhaite avec quelques jours de retard, un excellent anniversaire. Que tes pas te mènent vers ton avenir, et que tu puisses chaque jour trouver la force de combattre l’adversité.
Ton papa qui t’aime.
St Hippolyte, le 22 janvier 2009